Août 1995.
Katia Aumailley
parole invisible
Août 1995.
Avril 1997.
Sainte-Pezenne
Quand tout fuit
intraduisible
quand la terre se ferme
en faillite
dans le printemps humide
on rouvre les yeux vers le ciel
dès l'éclaircie
On inspire les pollens qui dansent
on prend le temps de l'oiseau
qui souffle les derniers frimas
sur le fil du possible
On enfile son vélo
appareil en bandoulière
parce qu'il faut bien
que la peur disparaisse
en giclées comme flaques
Et l'on retrouve les chemins d'ici
en famille
de peur qu'ils nous quittent
On place en besace
la touffe hirsute
la bouse pépère
le château endormi
ses dépendances
et ses sentes parfumées à l'ail des ours
descendant vers le fleuve
qui charrie les souvenirs de sa crue
Et l'on croit revivre
en s'écartant des traces
jusqu'à la berge où nidifient les remugles
jusqu'à la passerelle privée désormais
comme l'île des pêcheurs
les pieds pris dans la gadoue infranchissable
comme la porte des marcassins
ou les murs de la grimpette
aux coureurs
L'église miraculeusement ouverte
qui promet roses rouges
reste silencieuse
dans la lumière chaude ressuscitée
de la fontaine des morts
Cellulaire en main
les deux fillettes s'y retrouvent sur le banc de pierre
Pourtant les cloches tintinnabulent
et sonnent les tulipes sur leur tapis de pissenlits
Un moteur tourne
rue du presbytère
On a croisé presque personne
malgré la douceur
Il est l'heure invisible
de se retrouver
Mon deuxième projet photographique, « Opus 2 # HORS DU MONDE – lieux de silence », s’enrichit de jour en jour en numérique depuis 2008.
Les lieux silencieux ne le sont bien entendu que relativement à ceux qui ne le sont nullement, qui ne le sont pas encore ou plus. Ces espaces paisibles propices au déploiement de l’âme, à l’élévation, à l’acceptation, à l’abandon, au renoncement, développent en nous une intense acuité, nous lavent intégralement en nous rendant réceptacles consentants et guetteurs de signes.
Espaces de découverte, d’apaisement, de transformation, d’attente, ces lieux clos ou ouverts hors du grouillement, qui nous font expérimenter le vide, le deuil de soi, des autres, du monde, nous rapprochent paradoxalement de cette multitude qu’ils fuient, de leurs contraires, de ce(ux) que l’on n’y rencontre pas (encore) ou plus… Ils nous offrent le temps en ôtant la sensation douloureuse de son passage. Ils nous offrent à nous-mêmes, aux autres et au monde en retranchant – temporairement, durablement ou définitivement – nos vies.
C’est une promenade dans quelques-uns des espaces esseulés auxquels j’aime à me ressourcer par la magie de l'entre-deux, du souvenir et des clichés qui y donnent accès que voudrait offrir cet Opus 2 #…
« Opus 1 # Verres, vitres et miroirs » regroupe des photographies glanées depuis 2008 en des endroits et en des occasions divers.
Les verres, vitres et miroirs paraissent les lieux miroitants du moi, de la rencontre, des autres, du monde. Espaces narcissiques toujours déformants, qui mythifient et dénaturent, interprètent et troublent, préservent et exposent, relient et coupent, lissent et cassent. Lieux clés de connaissance, de voyeurisme, de frustration, qui offrent et refusent, renvoient et déforment, ils théâtralisent les expériences, les existences, les exigences, les érigeant parfois en destins croisés.
En même temps, verres, vitres et miroirs donnent symboliquement à voir les principaux questionnements des hommes, des femmes, des enfants, leurs doutes, leurs peurs, leurs tentations, l’indolence ou l’effervescence humaine – tout en se mettant en abyme l’un l’autre (lorsque le miroir sans tain devient vitre, que le verre ou la vitre reflète en miroir). Ils disent la vie ou la mort, l’épanouissement ou le lent travail de la maladie, de la douleur, du temps. Souvent ils prennent vie (quand ils saisissent mouvement ténu, expression, regard, échange, série d’actions). Souvent aussi l’eau, les pierres, les métaux, les tableaux renvoient des images inversées comme autant de miroirs originels ou révèlent le verre, la vitre au moment où ils les caressent, les piquètent, les strient ou les brisent.
Suis-je un bon ou un mauvais vitrier ? Voilà peut-être l'une des questions essentielles pour tout photographe. C'est en tout cas l'une de celles que pose cet Opus 1 # photographique...
STROMBOLI
Les gouttes ruissellent
sur le hublot et déchirent
le cône éruptif
Le triporteur jaune
pétarade et asphyxie
les ruelles minces
Une cloche sonne
le soir à San Vincenzo
la placette dort
Les murs décrépis
de la Villa Rosa cachent
les cœurs silencieux
Dans l'œil miroitant
de rue une trouée bleue
passage interdit
Empreintes d'oiseaux
sur le sable noir face au
vieux Stromboliccio
Sur la porte rouillent
les couleurs et les citrons
font ployer les branches
Ei non gettare
mozzicconi a terra
dit la vitre close
2010
En Sommes
Tu dors
et au creux du désert je souffle ta brume
en rosée d'impatience en puits
de dépit qui pointe l'orient
Tu dors
et à cet instant précisément ton eau
ruisselle dans mon dos ondée
de soleil baiser des oiseaux
Tu dors
et me manques me traverses me fuis
fleurissant la promesse des aubiers
comme un soupçon de toi
Tu dors
et je caresse ta surface miroitante
parcourue de sillages ténus croisés
revenue à l'origine
Tu dors
et l'espace du désir ne s'est pas éteint
Il t'embrase en silences
au cœur de ma nuit
Tu dors
et embrasses convulsivement mes reins
pays de vacance et d'oubli
traversée démente
Tu dors
et le monde émonde nos vies de patience
sur les littoraux lascifs du songe
en bouquets de riens
Tu dors
et les nuages se brisent en lames
larmes limpides océan de confiance
amour belle ancolie
Le Sillage de tes fards
Je recense la nuit
Ton parfum frais sur ma peau
l'empreinte en ton corps
et sur mes membres gourds
Je repense la pluie
larmes qui diluent ton fard
coulant en regrets
des mots trop chers trop lourds
Je rêvasse ta vie
Les sas des avions des trains
rencontres sommets
solitude en ce bord
Je ressasse tes lèvres
navrantes moites et charnues
acquiesçant en sourires
quand tes mots disent non
Je repasse mes rêves
les courbes et les virgules
tous ces fragments de toi
confisqués par l'orage
Je repanse mes plaies
dans ma bouche toujours
ta salive ton suc
impossible Früstück
Je resterais sans toi
loin du battement cordial
des filets de tes doigts
sur ma poitrine nue
Je ramasse mes jambes
des effets et des clés
pour pénétrer la suie
bariolée de la ville
Je retisse tes feux
les lumières se dévident
en poussière de phares
qui vont te rejoindre
Je relance tes yeux
les kilomètres crissent
le compteur hurle la jauge
décompte tes perles
Je redoute les cieux
la ferveur des aveux
dans les moissons solaires
extorquées au vide
Je retente tes cils
la rondeur de tes seins
la blancheur de ta nuque
la vie en ton ventre